Le printemps est là. Les oiseaux gazouillent (et forniquent sans pudeur sous nos yeux).
Une ado joue avec le chien pendant que nous sirotons un jus d’orange.
J’ai mal à la tête.
Depuis plusieurs jours et plusieurs nuits.
Je ne m’inquiète pas.
Les décisions à prendre pour l’année scolaire à venir,celle là et les autres, le lycée, la filière, les choix à faire pour l’ado-qui-joue, sans savoir si ils sont les bons…. les nuits raccourcies… en voilà la raison à coup sûr.
Et pourtant, que c’est vain. De se prendre la tête pour ça. Elle est là, mon ado, pleine de rires et de vitalité.
Elle a une force incroyable en elle, j’en suis sûre. Et elle se débrouillera de la Vie telle qu’elle est.
Surtout si la Vie est à l’image des promesses qu’elle fait.
Surtout si la Vie ne lui joue pas un sale tour dont elle a le secret.
C’est vain de s’inquiéter à n’en pas dormir sur la pertinence des choix à faire, car tout à l’heure, demain, il y aura peut-être cet accident qui rendra ces questionnements bien futiles, bien dérisoires.
Un accident ou la maladie, peut-être déjà là, tapie.
Nous avons connu ces moments où la vie se résume à l’heure prochaine, au jour prochain, jamais plus. Aujourd’hui seulement.
Nous avons connu ces moments où les mots sont inutiles pour cicatriser ou rassurer, tellement ils ont été usés par les années d’hôpitaux, d’opérations, d’espoirs déçus, de complications et d’errance médicale.
D’ailleurs, l’un de ces moments terribles, un autre printemps, il y a déjà longtemps ne me quitte jamais.
En rentrant de chez la nounou, ou des courses, ou d’ailleurs, j’envoyais l’ado-encore-enfant jouer dans le jardin, avant d’ouvrir la porte de la maison, et d’y pénétrer, seule, pour m’assurer que son père n’avait pas commis l’irréparable, n’avait pas renoncé.
Un de ces moments terribles, où il nous a rejeté, tant c’était difficile pour lui de vivre comme ça. Il s’est emmuraillé et nous a fermé la porte au nez. « Partez, je ne veux plus vous voir ».
Et ce moment là, pour la première fois de ma vie, j’ai dit OK… je m’en vais… pour lui, pour l’ado-encore-enfant, pour moi.
Une amie m’a dit « Viens! il y a plein d’enfants à la maison et des rires »
Au moment de partir, quelques semaines plus tard, la crise était passée, le Gars avait tapé du pied sur le fond de son désespoir, et il était remonté. Il ne voulait plus tant rester seul. Il ne voulait plus tant que nous partions. Mais j’avais promis et surtout j’en avais besoin. L’ado-encore-enfant aussi.
Quelques jours hors du temps. Quelques jours à rire. Les souvenirs sont toujours aussi vivants. Le bain du soir … Comment autant d’enfants peuvent rentrer dans une même baignoire? La lecture avant l’extinction des feux, à la ronde d’enfants réunis autour de moi, dans une chambre devenue dortoir.
Ces moments à partager les crêpes en chantant à tue-tête des comptines communes, même si l’enfant-pas-encore-ado était du Sud, les autres enfants-pas-encore-ados étaient du « Nord », les comptines n’avaient pas de frontières.
C’était il y a presque 10 ans…. C’était 5 enfants. Plus encore, en ce dimanche où nous nous sommes réunis dans la maison d’une amie chère, aujourd’hui disparue.
Et aujourd’hui, pas seulement, je donnerai cher pour retrouver cette insouciance hors du temps.
Ici, dans le Sud, la vie a continué. Ses hauts, ses bas, ses montagnes à déplacer.
Dans le Nord, le ciel s’est assombri, malgré le printemps et les oiseaux qui forniquent.
La maladie s’est installée, Injuste, brutale. Elle a enveloppé toute la famille, pas seulement l’enfant-devenue-ado.
Elle s’est insinuée partout. Et de loin, j’imagine trop les questions et les gouffres, les avenirs qui se résument au mois prochain, la semaine prochaine, à demain. Aujourd’hui seulement.
Et je regarde mon ado… qui court après le chien.
Au plus sombre de nos jours, j’ai toujours pensé que c’était tellement plus facile à gérer quand cela atteint un adulte.
Je porte l’angoisse de cette maman, cette amie, de celle de son mari, des enfants, de tous les enfants, des frères, de la sœur, de l’ado.
Je la porte mais tellement peu. Aucune gloire à ça. Je la porte car en soulevant un pan de mon cœur je la reconnais. Et pourtant, elle me glace tellement que je n’ose pas la laisser entrer.
Non pas que j’ai peur qu’elle nous contamine. La détresse n’est pas contagieuse, la maladie non plus.
J’ai juste épuisé les mots il y a 10 ans déjà. J’ai juste épuisé les espoirs déçus et les pieux mensonges.
Mais aussi fort mon désir de faire quelque chose, aussi forte mon envie de hurler contre cette injustice, aussi forte mon envie de croire que demain sera celui où le sort s’inverse, où la descente aura atteint son point bas, où la remontée commencera…. aussi forts sont-ils, je n’arrive pas à imaginer leur réalité.
Demander des nouvelles… mais comment imaginer la fatigue, les conflits de loyauté, les nuits blanches, les réveils douloureux, les espoirs et les angoisses. Comment imaginer cette maman, qui a déjà soulevé tant de montagnes pour ses enfants différents, (les fratries HP avec ou sans TDAH… c’est déjà un défi quotidien), devoir se partager entre sa fille malade et ses 3 autres qu’il ne faut pas oublier, qu’il faut tenter de préserver. Comment imaginer chacun, avec sa personnalité, vivre cette douleur, pas forcément de la même manière? Comment s’accorder? Comment imaginer cette jumelle, qui parcourt le Net à l’affût de la moindre information sur la Maladie. Que pense-t-elle quand elle refuse qu’un autre ne pousse le fauteuil de sa sœur? Quelle responsabilité s’attribue-t-elle? Et les garçons? le plus grand a l’âge de l’ado-qui-joue-avec-le-chien. Forcément c’est son « jumeau ». Il s’est niché dans le ventre de sa mère, le même jour que l’ado-encore-cellules dans le mien. Et l’ado-malade, tellement lucide, que pense-t-elle qu’elle cachera soigneusement à ceux qu’elle aime?
Se concentrer sur aujourd’hui seulement. Et sur ce rêve que l’ado-malade poursuit depuis 2 ans. Jouer contre la montre. Contre la montre de la maladie. Dans quelques jours, il pourra être réalisé. Mais peut-être ce sont quelques jours de trop. Ce voyage scolaire à l’étranger.
Quel courage pour tous. Pour l’ado, sa maladie, son fauteuil. Pour les parents, les frères, la sœur qui restent. Parce que j’imagine déjà, tout ce à quoi l’on peut penser quand on n’est pas là. Quand on est loin de son enfant différent. Quand on aimerait tant être là pour l’aider, pour gérer. Même impuissant, surtout impuissant, on veut rester là, à portée. Il y a certainement un geste que l’on peut faire, un regard que l’on peut échanger qui pourra aider notre enfant-ado-mari-parent malade.
Ne pas savoir quoi faire. Pour l’ado-malade bien sûr. Mais surtout pour la Maman-Courage-qui-n’a-pas-le-choix-mais-qui-a-le-droit-d’en-manquer-du-courage-… ou savoir qu’il n’y a rien à faire. Juste à continuer de lui parler de mes soucis quotidiens. Parce que aussi petits soient-ils, aussi insignifiants devant l’ampleur des siens, ils pourront peut-être, le temps d’une conversation, la replonger dans un monde d’insouciance. Parce que le temps d’un échange de mails, de messages instantanés, ils seront une amarre à ce monde qui était le sien il y a si peu, à ce monde qui sera un jour de nouveau le sien, le leur.
Ce monde où le seul problème est de trouver un bon lycée pour une ado sans souci…
Témoignage bouleversant…
Bon courage à ton amie et à sa famille. J’espère que le ciel se dégagera pour eux…
Et bon courage à toi dans tes choix. Tu as raison, le plus dur est derrière toi. Cerains choix sclaires sont difficiles, mais ils sont toujours rattrapbles, et Gwen a de la ressource et pourra toujours rebondir ! Vous avez fait une ado forte, vous pouvez être fiers !
vivre.. juste vivre..que l’Ado-qui-joue-avec-le-chien, continue a jouer avec le chien…être soi..leur donner le reflet de la vie qui est au bout du tunnel, d’une vie sans la Maladie.